Ici poème

Agnès Thurnauer peint des mots. Tracer méticuleusement des lettres avec un pinceau, ce n'est pas vraiment écrire : le mot devient un objet, on peut sentir son épaisseur, on peut le couper en deux. On peut le répéter, comme le font les enfants, jusqu'à ce qu'il s'écorce de son sens commun pour devenir un vocable étrange. C'est le début de la poésie. Elle découpe donc les mots pour en faire émerger des sens nouveaux. C'est un processus contemplatif qui s'accorde avec la lenteur de fabrication d'un tableau. Resserrant encore la focale, Agnès Thurnauer découpe même les lettres, ou plutôt leurs négatifs, pour isoler des formes abstraites, comme un alphabet inconnu et donc silencieux. Car le silence est le revers intime de cette poésie. L'artiste détoure ainsi des formes oblongues, lointainement anthropomorphes, qu'elle situe au premier plan de la toile. Comme si des êtres mutiques regardaient ensemble un tableau, montraient l'exemple, pour aider les spectateur·ice·s à plonger dans une mise en abîme. Car Agnès Thurnauer montre avant tout les gestes du peintre. Même les ciels chargés de nuages charrient le souvenir des maîtres anciens, ce sont des coups de brosses, de la couleur et du style. En les associant au mot "maintenant", l'artiste rappelle que l'art est une expérience immédiate plutôt qu'une histoire. L'histoire, elle, aurait pu être écrire autrement, avec des rimes féminines par exemple. Mais la réalité sensible ne s'éprouve qu'au présent. On est loin des amours de loin.

David Lemaire
conservateur – directeur

UNE PREMIÈRE EXPOSITION MONOGRAPHIQUE EN SUISSE
Cette exposition monographie qui se tiendra au rez-de-chaussée et au sous-sol du musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds, dans une série de huit salles et sur près de 800 m2, sera la première exposition monographique en Suisse dédiée à Agnès Thurnauer, offrant une vue d’ensemble de son oeuvre et mettant en avant ses contributions majeures à l’art contemporain.
L'accrochage de près de 80 oeuvres, peintures et sculptures, mettra en lumière les différents aspects de l’oeuvre d’Agnès Thurnauer à travers une approche pluridimensionnelle, où ses Prédelles occuperont une place centrale, traçant tout au long du parcours d'exposition un "grand poème" tout en s’inscrivant dans un dialogue élargi avec ses autres séries. Un hommage à une artiste qui, depuis des décennies, interroge le rôle des femmes dans l’art, le langage et la société, tout en proposant de nouvelles formes de narration et de re-présentation et redéfinit sans cesse les limites de la peinture et du langage.
Commissaires David Lemaire et Marie Gaitzsch